Une revue de littérature scientifique et technique suite aux incendies dévastateurs de l’été 2022

Les incendies de l’été 2022 sont parmi les plus dévastateurs de l’histoire de la Forêt des Landes de Gascogne, après 70 ans d’accalmie.

Les conditions climatiques, notamment de sécheresse, et l’ampleur des feux girondins rappellent les "grands incendies" passés. Une différence saute aux yeux : aucune victime n’est à déplorer en 2022. Mais la forêt a payé un lourd tribut.

Le CNPF IDF et la délégation régionale Nouvelle-Aquitaine publient une revue de littérature scientifique et technique, avec 16 points à retenir, résumés ci-dessous. Un travail préliminaire pour nourrir les réflexions de tous ceux qui s’intéressent au devenir de la forêt et qui souhaitent s’y impliquer.

Il faut examiner honnêtement les conditions particulières du massif des Landes de Gascogne (sol, climat, essences…) et l’évolution considérable du contexte (climatique, territorial…). L’objectif est de trouver les moyens de penser ou repenser le territoire forestier (sylviculture, infrastructures DFCI, interfaces avec les autres usages du territoire…) pour pouvoir envisager l’avenir de la forêt et de ses habitants.

Les auteurs et contributeurs du rapports sont : Cécile Maris, Dominique Merzeau, Philippe Riou-Nivert et Amélie Castro, avec l'aide de Luc-Olivier Delebecque, Fabienne Benest et Eric Sevrin.

Cette étude bibliographique a été commandée par le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.

Diversification et reconstitution post incendie dans le massif des Landes de Gascogne

A retenir : Le rapport en un coup d’oeil

  • Les podzosols du massif landais induisent de fortes contraintes hydriques et nutritionelles, qui sont autant de facteurs limitants pour la survie et la croissance des arbres.

    Il faut que les essences soient frugales, supportent l’acidité forte (pH 4,5) et des sols à faible réserve utile en eau soumis au battement de la nappe phréatique : souvent engorgés en hiver, mais secs en été.

  • Les données climatiques sont importantes, car elles conditionnent la survie et la croissance des arbres, et l’exposition au risque de sécheresse et d’incendie.

    L’année 2022 est marquée par un cumul de phénomènes défavorables à la végétation herbacée, arbustive et arborée et favorables à la propagation des incendies :

    • une mauvaise recharge de la nappe due à des précipitations faibles entre octobre 2021 et mai 2022 : 478 mm contre 663 mm en moyenne
    • une pluviométrie faible entre juin et août 2022 : 99 mm (contre 161 mm en moyenne)
    • un nombre de jours supérieurs à 30°C exceptionnel : 70 journées (contre 35 en moyenne)
    • un nombre d’heures d’ensoleillement supérieur à la moyenne : 1084 h (contre 884 h en moyenne).

    L’augmentation continue des températures laisse penser que 2022 ne sera pas une année isolée.

  • Les espèces feuillues arborées recensées par l’IFN sur la sylvoécorégion Landes de Gascogne au côté du Pin maritime sont nombreuses. Elles sont, pour la plupart, des espèces forestières d’accompagnement : présentes dans le sous-bois, au bord des cours d’eau, dans les milieux interstitiels et en bordure des peuplements de pin.

    Leur répartition est fonction des conditions stationnelles.

    Leur rôle économique est modeste dans ce contexte (à l’exception du chêne liège dans le sud du massif et du robinier sur les marges) et elles participent peu à la production de bois.

    Leur présence dans la mosaïque forestière est cependant indispensable à la bonne dynamique du socio-écosystème forestier du Massif des Landes de Gascogne et à sa durabilité.

  • En comparant les inventaires anciens et récents, l’Institut national de l’information géographique et forestière constate un accroissement notable de la présence de feuillus dans les départements des Landes et de la Gironde.

    Les effets des préconisations, après les tempêtes Martin et Klaus, de conserver ou créer des lisières ou îlots de feuillus dans la gestion de la pinède, sont déjà observés.

    Sur la sylvo-éco-région des Landes de Gascogne, 27% des peuplements sont dominés par une essence feuillue, soit plus d’un quart de la surface totale (IFN 2016-2020). Une part de ces peuplements sont des jeunes pinèdes dans lesquelles les feuillus, issus du sous-bois, ont été conservés.

    La présence des feuillus dans la forêt des Landes de Gascogne tend à augmenter depuis les années 1980. Le chêne pédonculé est nettement majoritaire.

  • L’augmentation continue des températures sur les 20 dernières années laisse penser que 2022 ne sera pas une année isolée.

    Les essences forestières, feuillues ou résineuses, présentes aujourd’hui dans le massif forestier des Landes de Gascogne ou candidates à une introduction, sont positionnées de façon variable au regard des conditions climatiques projetées pour les décennies à venir.

    Les cartes de compatibilité climatique fournies par Climessences doivent être étudiées avec attention. En 2022, il est indispensable d’intégrer cette dimension.

    D’autres paramètres (conditions stationnelles locales, situation sanitaire, etc. entrent aussi en ligne de compte.

    climessences.fr

  • La difficulté technique d’installation des lisières feuillues en forêt des Landes de Gascogne réside dans :

    • Les facteurs stationnels fortement contraignants qui limitent fortement le choix des essences.
    • La différence très forte entre le pin maritime et les essences feuillues en matière de croissance.
    • La nécessité de gérer les grands herbivores et la concurrence de la végétation du sous-bois.

    Les gains espérés en matière de biodiversité et de protection sanitaire n’ont pas encore été mesurés à ce stade (15 ans).

  • La clause de diversification, telle qu’elle a été définie de façon concertée pour la mise en oeuvre du plan de reconstitution des peuplements sinistrés par la tempête Klaus en 2009, convient à la spécificité de la forêt des Landes de Gascogne.

    Elle a permis de conserver et d’améliorer les corridors, les îlots feuillus, les zones spécifiques que sont les lagunes.

    Moyennant quelques ajustements et améliorations, elle peut s’appliquer à la reconstitution après incendie.

  • Les essais du GIS GPMF de plantation de feuillus de production en mélange avec le pin maritime ont confirmé la difficulté d’installation des feuillus dans les stations du Massif landais.

    Les effets des contraintes stationnelles sont aggravés par la forte pression du gibier.

    La concurrence de la végétation du sous-bois exige une fréquence d’entretien importante.

    Les taux de mortalité des feuillus sont élevés et leur croissance significativement plus faible que celle du pin, à l’exception du bouleau dans la phase juvénile.

    Ces expérimentations confirment qu’il est plus efficace de s’appuyer sur la dynamique feuillue existante, en conservant les feuillus isolés qui pourront servir de semenciers ou les lisières et îlots déjà installés, et en épargnant lors des reboisements, les zones d’accrus ou de recrus.

  • Les essais du GIS GPMF de conservation des feuillus isolés (7 à 14 ans) montrent qu’il est possible de conserver des feuillus isolés dans les peuplements de pin maritime.

    Les résultats obtenus à ce stade ne montrent pas encore le bénéfice de ceux-ci sur les peuplements de Pin maritime.

    Dans un autre contexte, l’intérêt de la conservation de chênes isolés dans des peuplements d’épicéa pour l’entomofaune saproxylique a été montré.

  • La taille des surfaces incendiées en 2022 va induire des contraintes particulières, en fonction des sols, de l’intensité locale du feu, du comportement de la nappe phréatique.

    Ces contraintes vont conditionner les techniques de reconstitution, les travaux préalables à leur mise en oeuvre (notamment la maîtrise de la remontée de la nappe dans les landes humides) et les possibilités de diversification.

    La remise en état et le renforcement des infrastructures DFCI doit aussi être pris en compte.

  • En matière de sensibilité des essences forestières au feu, les résultats de l’analyse bibliographique sont plus nuancés que les discours souvent entendus après les incendies de cet été.

    En effet, si, en Provence-Côte d’Azur, le taux de combustion est plus élevé dans les pinèdes pures, en revanche :

    • Le Chêne liège et le Chêne vert sont plus inflammables que le Pin maritime
    • La formation végétale du Chêne pubescent a une plus forte combustibilité que celle du Pin maritime
    • En Provence, la fréquence de mise à feu est plus élevée dans les peuplements mélangés que dans les pinèdes pures.

    Notons que le cèdre, peu inflammable et peu combustible, n’est pas adapté aux stations du Massif.

    Sur le terrain la situation est contrastée : l’intensité du feu, l’âge et la structure du peuplement et des arbres, les conditions locales d’humidité du sol, les opérations de lutte ont joué sur les dégâts constatés.

  • Le Pin maritime reste une essence bien placée par rapport au changement climatique (diversité génétique importante, Nord de l’aire naturelle).

    Le programme d’amélioration du GIS GPMF est un gage d’assurance : il intègre des stratégies permettant une bonne adaptation à un environnement changeant, en préservant la variabilité naturelle de l’essence.

  • Le type de sylviculture joue un rôle dans la prévention des feux « normaux » les plus fréquents, mais est insuffisante pour les « feux de grande ampleur » en conditions de sécheresse extrême, tout en conservant malgré tout un effet sur l’intensité du feu (PNUE, 2022).

    Aucune sylviculture n’a tous les avantages.

    L’investissement lié à la création et au maintien des pistes et fossés fait partie intégrante de la gestion forestière.

    Une gestion préventive contre les incendies peut contrarier la prévention d’autres risques - tempêtes, sécheresse, attaques phytosanitaires, dégâts de gibier ; elle interagit de façon variable avec les différentes fonctions de la forêt (production, environnementale, sociale).

  • Les principales interactions concernent la conservation des zones humides, des cours d’eau et la périodicité, intensité et date de réalisation des débroussaillements.

    Les données d’entrées de ces questions commencent à être connues. Certaines réponses ont déjà pu être travaillées pour les zones humides.

    Le travail en collaboration entre CNPF, acteurs de la forêt privée et publiques et structures de de la protection de l’environnement permet l’amélioration de la connaissance et le dialogue.

  • Le massif des Landes de Gascogne est un espace peu artificialisé et peu fragmenté. La matrice forestière des forêts de pin s’intègre dans une mosaïque forestière associant milieux ouverts, peuplements forestiers feuillus, et différents stades du cycle sylvicole.

    La mosaïque forestière permet l’accueil d’une faune et d’une flore diversifiée.

    La gestion forestière tient compte, de plus en plus, de cette dynamique à l’échelle du territoire forestier, qui peut participer du compartimentage du massif.

  • Le territoire est l’échelle pertinente pour mettre en place une gestion intégrée du risque incendie.

    Elle s’appuie sur une gestion des interfaces entre forêt et autres usages du sol pour créer et entretenir des ruptures de combustibles et ménager des accès : réduire l’exposition des enjeux et améliorer la défendabilité.

    Les collectivités ont un rôle central à jouer dans la planification du territoire et pour la mise en oeuvre des Obligations Légales de Débroussaillement mais aussi la sensibilisation au risque des habitants et des visiteurs. Elles ont besoin d’outils pratiques, simples et d’accompagnement.

    Propositions d'évolution du contexte réglementaire et moyens financiers sur la prévention et la protection :

    • Favoriser la prise en compte de la biodiversité lors de la reconstitution des peuplements, en élargissant aux peuplements en place la "clause de diversification" déjà mise en place après la tempête Klaus.
    • Développer les aides au débroussaillement et à l'élagage anti-incendie (possibles dans le cadre du plan France Relance ?) et favoriser la sylviculture préventive dynamique (DEFI ?).
    • Sécuriser et renforcer les moyens financiers pour la création et l’entretien des ouvrages de DFCI. L’équipement des massifs est un travail permanent et régulier, à bas bruit, qui prouve son efficacité lors des qu’il faut gérer un départ de feu. C’est un élément indispensable pour la lutte sur feu naissant.
    • Accélérer la cartographie des risques et observatoire de la reconstitution en prenant en compte les interfaces forêt-urbanisation, et l'utiliser pour réorganiser les infrastructures DFCI.
    • Prévoir une indemnisation des propriétaires accueillant chez eux des pare-feu improductifs permanent ou des zones d’appui à la lutte.
    • Partager un cahier des charges pour la mise en oeuvre des zones d’appui : réalisation durant la phase de lutte, remise en état après incendie, indemnisation des propriétaires.
    • Augmenter le taux de réalisation des OLD et du débroussaillement régulier le long des routes en facilitant la réalisation d’actions collectives par les propriétaires ou occupants des bâtiments, en aidant les communes à faire respecter ces obligations. On peut envisager d’agréer des entreprises pour garantir la qualité des travaux.
    • Développer l'information auprès des résidents et généralisation des diagnostics incendie par des agents formés des collectivités. Développer la formation des agents des collectivités territoriales à la gestion intégrée du risque feu de forêt.
    • Lier la réalisation d'aménagements anti-incendie à la réduction des primes d'assurance habitation : OLD…
    • Renforcer les dispositifs d’assurance forestière.
    • Poursuivre et renforcer la coopération entre les organismes forestiers (CNPF, ONF…) et les centres de recherche, notamment au travers du GIS Groupe Pin Maritime du Futur, et élargir cette coopération à des projets avec les équipes de recherche spécialisée dans les incendies de forêt (Avignon, Aix en Provence…) pour des thèmes propres aux Landes de Gascogne.
      Le document de gestion durable devient un incontournable, il appelle un renforcement de son instruction.
    • Renforcer les moyens en personnel des organismes (CNPF, DFCI…) qui accompagnent la gestion de la forêt des Landes de Gascogne, privée à plus de 90%.
      Ces organismes sont responsables des infrastructures et du réseau DFCI ainsi que la formation et l’information des sylviculteurs.